Quand la Royal Navy produisait du rhum…
L’hiver arrive, les rhumes avec… Un remède présent dans toutes les bonnes pharmacies peut vous aider: le grog! Mais saviez-vous qu’il n’a été créé ni par Bayer, ni par Servier ou autres laboratoires mais par la Royal Navy? Voici donc un petit rappel des activités annexes de la flotte de Sa Majesté, lorsqu’elle n’était pas occupée à tenter le blocus de Brest. En bonus quelques recettes historiques.
Le Rum (sans h), carburant du marin anglais
Avant le XVIIème siècle, les marins britanniques disposaient de rations de bière. Malheureusement, le produit voyage mal dans les conditions de conservation sommaires de l’époque. De plus, les guerres sont de plus en plus lointaines et l’ale devient vite imbuvable après une transatlantique… Au contraire, l’Admiralty a vite constaté qu’une traversée en fût de chêne n’était que bénéfique pour les eaux de vie. Après la conquête en 1655 de la Jamaïque et de ses champs de canne à sucre, la Royal Navy a donc décidé de transformer les rations de bière en rations de rhum appelées « Tot ».
Afin d’assurer l’approvisionnement de ses navires, la marine britannique s’est transformée en producteur distillateur. C’est ainsi qu’est né le Navy Rum, type de rhum toujours prisé des anglo-saxons. C’était alors un blend (terme désignant le mélange de différentes eaux de vies, comme cela se dit pour le whisky) de rums de Guyana, de Jamaïque, de la Barbade et de Trinidad. Son vieillissement, parfois long, en fût neuf, lui donne un caractère très corsé et tannique assez différent des habitudes françaises.
Le Tot a eu une valeur variable, de 57 cl en 1655 à 6 cl en 1970. Il fut finalement aboli le 31 juillet 1970 qui fut baptisé le « Black Tot Day ». Les économistes ont eu leur Black Thursday en 1929, les marins leur Black Tot day en 1970!
Vernon et Drake en lice pour le concours du meilleur barman!
Au cours des siècles, la Royal Navy a donc contribué à diffuser et populariser de nouvelles consommations de rhum. La première recette serait d’origine indienne. Le punch viendrait du sanskrit « panch » signifiant cinq. En effet, ses ingrédients de base sont au nombre de cinq : du rhum, du sucre, du jus de fruit pressé, du thé et de la cannelle. Il semble être le plus vieux cocktail, datant de 1700. Des variantes se retrouvent dans l’ensemble des colonies britanniques, l’alcool changeant. Il est communément admis que le mélange doit être réalisé dans un saladier de grande taille. Le plus gros punch recensé dans la marine a été offert par l’amiral Russel à Lisbonne en 1694 dans un bassin en marbre. Il était constitué de 600 bouteilles d’eau-de-vie, autant de aguardente de canna, 1200 bouteilles de vin de Malaga, 400 litres d’eau bouillante, 300 kg de sucre, 200 kg de muscade en poudre et 600 jus de citron.
Je ne résiste pas à vous livrer la recette d’Alexandre Dumas, gourmet bien connu :
Punch à la Française: Mettez dans le même bol une bouteille de vieux rhum de la Jamaïque, avec deux livres de sucre royal et concassé, faites-y prendre le feu et agitez le sucre avec une spatule afin qu’il se caramélise en brûlant avec le rhum; après diminution d’un tiers du liquide, mélangez dans le même bol avec ce rhum quatre pintes de thé Sou-Chong, qui doit être bouillant, joignez-y le suc de huit citrons et de douze oranges bien mûres.
Grandes heures de la cuisine française, A. Dumas, 1872, p. 176.
Passé le punch, arrivons à notre remède évoqué plus haut. Certaines légendes affirment que l’amiral Vernon aurait ordonné en 1740 de rallonger le tot avec de l’eau chaude et du citron pour réchauffer un équipage frigorifié. Il semble néanmoins plus crédible qu’il l’ait fait pour limiter l’ivresse de l’équipage tout en réduisant les risques de scorbut. Au cours du temps, se sont ajoutés cannelle et miel. La raison de l’appellation de grog serait le surnom de l’amiral: « old grog » pour old grogram signifiant qu’il portait un vieux manteau épais. On peut là aussi douter de l’explication, le rhum étant par exemple appelé grogue au cap-vert, cette origine semble plus crédible.
Francis Drake, lui aussi proche de la couronne, serait le créateur d’un des cocktails les plus en vogue actuellement, le mojito. En effet, il était réputé boire un mélange de rhum, de citron vert et de menthe. Le cocktail était appelé initialement « draque » à Cuba.
Aujourd’hui
Après la fin de la production par la Navy, ce patrimoine a été repris. La brasserie Pusser’s a racheté les alambics, parmi les plus anciens existants, et produit le rhum selon la recette de l’Admiralty.
Enfin une illustration plaisante de ce que le budget de la défense peut apporter à notre quotidien grâce au développement de nouvelles technologies (de distillation….)!
Crédits photographiques : Grog : Connie Ma (sous licence CC BY-SA 2.0) Distribution du rhum sur le HMS King Georges V : Beadell S. J. et Imperial War Museum (sous licence IWM Non-commercial)
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