Kililana song, polard poétique sur l’océan indien
Pour une BD, la couverture peut faire beaucoup. Celles des deux tomes du dyptique Kililana Song attirent l’oeil… Les voiles rapiécées et colorées du premier tome représentent bien son atmosphère calme et chaleureuse, alors que le bateau perdu au milieu d’une mer d’un bleu sombre annonce le dénouement! Elles ont su me convaincre d’aller plus loin.
Benjamin Flao, auteur nantais, livre ici son premier album en solo. Après avoir illustré notamment Mauvais Garçons, une jolie histoire d’amitié et de flamenco, il s’attaque ici seul au travail de conteur, avec un réel succès. Il nous emmène pour ce récit à Kililana, dans le nord-est du Kenya. On y suit d’abord quatre personnages aux histoires a priori séparées, mais qui finiront par s’entrecroiser. Naïm, jeune garçon de onze ans, débrouillard et joueur, nous promène dans le village au grès de ses « arrangements ». Un vieillard, seul dans la mangrove, nous initie aux mythes et légendes locales. Un capitaine contrebandier, aux faux airs de Marlon Brando, nous embarque dans ses trafics peu recommandables. Enfin, un jet-setter français, abusant de la cocaïne, montre la face peu reluisante du tourisme occidental. Je laisse le soin à Benjamin Flao de tisser le lien entre ces destins pour en faire la trame d’un récit qui sait allier un brin de polar avec de l’humour et du fantastique.
Mais que fait donc cette bande dessinée dans mer 360 me direz-vous? Et bien c’est que tout au long de l’histoire, on peut admirer de superbes dessins de bateaux traditionnels kényans. On y croise aussi des marins de toutes sortes, du trafiquant occidental haut en couleur au vieux Nacuda (capitaine de boutre) évoquant la marine à voile de l’Indien en passant par les pêcheurs de l’archipel ou les charpentiers navals. Enfin, parallèlement au sujet principal, l’auteur évoque les thématiques importantes que peuvent être les dégâts du tourisme sur de petits archipels, la piraterie somalienne et surtout les risques des projets portuaires dans des zones littorales sensibles. En effet, le projet de port en eau profonde pour exporter le pétrole du Sud-Soudan, présent en arrière-plan est bien réel. Il fait l’objet de nombreuses contestations et de procès pour corruption.
Graphiquement, Benjamin Flao arrive à trouver un bon compromis entre précision et lisibilité. La couleur directe, parfaitement maîtrisée, nous écrase à merveille sous le soleil des tropiques! Enfin, on peut se régaler de tous ces bateaux exotiques dont les noms font déjà voyager : dhow, boutre, sambouk, jalibout, zarook, danghis, thomis, n’galawa… Ces coques, paresseusement posées sur le sable, font penser à des dessins d’Yvon Le Corre (inspiration revendiquée par l’auteur) ou Michel Lepage. Les ballades dans la mangrove ne sont pas moins évocatrices que les bars du port…
On pourrait reprocher quelques lourdeurs aux personnages, mais elles sont largement compensées par les nombreuses qualités graphiques et poétiques de l’ouvrage. En deux mots, n’hésitez pas et embarquez pour un long bord accrochés au balancier de la pirogue!
Kililana Song (1ere et 2e parties)
Auteur (Scenario et Dessins): Benjamin Flao
Edition : Futuropolis
Années : 2012/2013
Plus d’infos sur le projet à Lamu : savelamu.org
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